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L’axe Trump-Poutine, la place de l’Europe

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En amont du sommet Trump-Poutine qui clôturera la séquence européenne de Trump, j’ai écrit pour Le Monde cet article sur la convergence des visions du monde des deux hommes, vers une « vision alternative des relations internationales » (merci à Olivier Schmitt à qui j’ai emprunté l’expression), et ce qu’elle signifie pour les Européens.

Je reproduis mon article à la suite.

Trump Poutine

« MM. Trump et Poutine convergent vers une vision alternative des relations internationales »

L’historienne Maya Kandel considère, dans une tribune au « Monde », que les présidents américain et russe, qui doivent se retrouver au sommet d’Helsinki, lundi 16 juillet, s’épanouissent dans un univers diplomatique de rapports de force, sans règles ni normes

Le président américain, Donald Trump, rencontrera donc le président russe, Vladimir Poutine, lundi 16 juillet à Helsinki. On peut d’ores et déjà imaginer que c’est ce sommet qui donnera son sens à l’ensemble de la séquence européenne du président américain – mais quel sens précisément ?

Il n’est pas question de critiquer par réflexe un sommet entre les deux chefs d’Etat : on ne peut pas, d’un côté, condamner les propos de Trump contre le multilatéralisme et la diplomatie comme instrument de la politique étrangère américaine, et, de l’autre, rejeter un sommet, symbole de dialogue par excellence. Il faut de toute façon s’y résigner : le sommet s’impose comme l’exercice favori de M. Trump en politique étrangère, parfait prolongement international du show de télé-réalité permanent qu’est devenue la présidence américaine.

Quant à M. Poutine, dont l’étoile polaire en politique étrangère demeure de retrouver le rang d’égal des Etats-Unis, ce sommet ne peut que le ravir : il a peu à perdre, et beaucoup à gagner : un accord sur la Syrie, et plus largement sur le Moyen-Orient, que Trump aimerait lui sous-traiter ; un nouveau signe de détachement américain vis-à-vis de la défense des Européens ; une validation de l’annexion de la Crimée par Washington, qui officialiserait une nouvelle séquence de remise en question des frontières européennes, particulièrement dangereuse en ce moment.

Univers hobbesien

Les motifs d’inquiétude sont donc bien réels pour les Européens. Le premier est lié à l’incertitude résultant de la schizophrénie actuelle de Washington sur le dossier russe : alors que l’ensemble de l’exécutif et du Congrès a adopté, depuis janvier 2017, des mesures qui concrétisent une posture générale plus agressive vis-à-vis de Moscou, à l’image des documents stratégiques officiels, le président Trump a multiplié déclarations et Tweet élogieux à l’égard du président Poutine et de la Russie, tout en répétant sa volonté de coopération « afin de faire du monde un endroit meilleur et plus sûr ». Ecartelée entre ces deux pôles, la position américaine vis-à-vis de la Russie demeure de fait indéterminée.

On ne connaît pas (encore) avec certitude les raisons de l’affection de M. Trump pour M. Poutine. Mais peu importe. Plus essentiel est le fait que leurs visions du monde se rejoignent sur de nombreux points : tous deux voient les relations internationales comme un univers hobbesien de rapports de force, sans règles ni normes, et rejettent le multilatéralisme et les institutions internationales aujourd’hui en crise. Tous deux n’ont de cesse de critiquer l’Union européenne (UE) et l’OTAN, deux institutions fondatrices de « l’Occident » tel qu’on l’entend depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Ce qui inquiète, dès lors, n’est pas tant la fin de la centralité de la relation transatlantique dans la grande stratégie américaine – une évolution annoncée aux Etats-Unis depuis la fin de la guerre froide, et qui pourrait constituer un électrochoc salutaire pour les Européens. Le danger vient plutôt de cette convergence de vues entre MM. Trump et Poutine et une vision alternative des relations internationales promue par les populismes contemporains, de droite comme de gauche, et caractérisée par une obsession de la souveraineté et la fermeture des frontières au commerce et à l’immigration.

Cette vision propose également une conception alternative de l’Occident, défini par la couleur de la peau (blanche) et la religion (judéo-chrétienne), et non les droits, valeurs et normes, et surtout l’espoir, issu des Lumières, de pouvoir combiner le cadre national avec la nature universelle de ces droits.

Et l’Europe, dans tout ça ?

C’est le sommet Trump-Poutine qui donnera son sens – mais lequel ? – au sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet. L’optique d’une rencontre bilatérale Trump-Poutine chaleureuse enfoncerait le clou d’un sommet de l’OTAN marqué par les récriminations américaines et les divisions européennes, illustrant visuellement la fracture entre internationalistes et nationalistes qui traverse aujourd’hui toutes nos sociétés.

Elle renforcerait la portée et l’influence de cette vision alternative des relations internationales, au cœur du narratif russe : M. Poutine et M. Trump attaquent les alliances et institutions constitutives de l’ordre international créé, soutenu et garanti par les Etats-Unis depuis 1945 dans le monde « libre » (non soviétique), et dont l’extension à l’ensemble de la planète est devenue, à la fin de la guerre froide, l’objectif de la politique étrangère américaine, de Bush père à Clinton puis à Bush fils. M. Poutine rejette cet ordre comme symbole de l’hégémonie américaine ; M. Trump considère qu’il a bénéficié davantage aux concurrents, adversaires ou alliés, qu’aux Etats-Unis eux-mêmes.

Et l’Europe, dans tout ça ? Elle s’affaiblit, divisée et rétrogradée au rang d’objet, simple terrain d’affrontement de la compétition de puissances. Si elle ne se pense que comme puissance normative, elle ne peut exister que dans cet ordre international libéral, grâce au multilatéralisme qu’il suppose et défend.

Surtout, l’Europe est elle-même traversée par ces lignes de fracture, qui ont conduit à la crise existentielle actuelle de l’UE. Les pays européens sont tous touchés par la remontée du nationalisme, dont on sait où il nous a menés dans notre histoire commune. La construction de l’UE vient de là avant tout, et il fut un temps où les présidents américains le savaient.

Aujourd’hui, M. Trump détruit, M. Poutine applaudit, tandis que le président chinois, Xi Jinping, construit les règles du jeu de demain. Or l’Europe ne peut se réduire à une puissance normative, tout comme le multilatéralisme ne se réduit pas à de l’idéalisme. Il est légitime de critiquer un système qui n’est pas optimal ; mais si les populismes posent de bonnes questions, ils n’apportent pas les seules réponses. L’axe Trump-Poutine rend plus nécessaire la créativité de ceux qui ne s’y retrouvent pas.

Sur le même sujet:

« America First et l’avenir de la relation transatlantique » dans le dernier numéro de la revue Questions Internationales (été 2018)

La tribune de l’universitaire russe Vladislav Inozemtsev dans Le Monde également.


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